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Les décideurs face aux aspirations des nouvelles générations : Entre résistance et opportunités, quelle place et quel lieu pour l’entreprise du XXI siècle ?

«J’ai du succès dans mes affaires
J’ai du succès dans mes amours
Je change souvent de secrétaire
J’ai mon bureau en haut d’une tour
D’où je vois la ville à l’envers
D’où je contrôle mon univers»

« Le blues du businessman », chanson iconique de la comédie musicale Starmania, résonne particulièrement aujourd’hui. Derrière ces mélodies aux embruns nostalgiques, les paroles révèlent les enjeux humains et organisationnels que rencontrent les entreprises et ses acteurs depuis plusieurs années. 

Avoir son bureau en haut d’une tour est une représentation qui a longtemps nourri les imaginaires de réussite professionnelle dans un univers « corporate ». C’est aujourd’hui dans un cadre plus intimiste, loin de l’architecture verticale que les nouveaux cadres et managers aiment se projeter : télé travailler depuis chez soi, à l’extérieur ou en voyage est une pratique émergente. 

« D’où je vois la ville à l’envers, D’où je contrôle mon univers » exprime du reste ce paradoxe toujours présent : le travail permet, à la fois une élévation physique, intellectuelle voire sentimentale (j’ai du succès dans mes amours) et une coupure avec les enjeux de la société à la faveur d’un autre monde moins spontané. 

Ce sont dès lors plusieurs enjeux qui incombent les décideurs actuels : des enjeux managériaux, organisationnels, spatiaux c’est-à-dire le cadre du travail à différentes échelles (du bureau à la ville) et également sociétaux. 

Plusieurs acteurs contribuent aux fonctionnements d’une entreprise, ici définie comme une unité organisationnelle, fonctionnelle, sociale et sociétale. Ces acteurs sont pluriels, et nous choisissons ici de nous concentrer sur les décideurs. Par décideurs, nous entendons celui ou celle qui possède un pouvoir d’influence et d’action au sein de cette organisation, autrement dit celui ou celle qui fait ou qui fait faire (un dirigeant d’entreprise, un manager…). 

Par cette approche, nous interrogerons dès lors les interactions entre les différentes générations de décideurs, qui, par la définition de nouveaux business modèles, de valeurs et de pratiques, réécrivent la définition de l’entreprise du XXI siècle avec dévouement, optimisme mais non sans esprit critique et éclairé. 

Manager : du doute à l’action, cheminement d’une culture d’entreprise comme expérience de vie… professionnelle 

Travailler ou s’épanouir, faut-il choisir ? Question piège pour les uns, une évidence pour les autres, le décideur, par son sens des responsabilités, se pose naturellement la question. Il s’agit alors d’interroger la pluralité des réponses selon les variations générationnelles. Dès lors, c’est le rôle du manageur qui est « challengé » avec comme contexte global : de nouveaux enjeux, notamment humains et sociétaux. 

L’étymologie du mot manager est issue du terme latin maneggiare, ce qui signifie tourner ou faire tourner. À l’origine, ce terme est employé pour faire tourner les chevaux dans les manèges. C’est la dimension de responsabilité qui ici est prégnante. En effet, faire tourner un manège suppose d’une part un travail en amont, d’autre part une confiance des individus et enfin une vigie afin de freiner ou de changer la direction du manège en cas de trouble. 

Face aux nouveaux enjeux de l’entreprise et notamment des aspirations des nouvelles générations, la force du décideur vient de sa capacité à se remettre en cause : douter. Mais un doute passager, celui qui est délimité dans le temps. Ce doute est cartésien, méthodique, objectif, c’est-à-dire guidé par la raison. Cette approche requiert du courage (le courage managérial) afin d’accepter une situation sans invoquer ses sentiments ou toute forme de subjectivité. Une fois le doute sur la table, pressé jusqu’à peau de chagrin, le doute momentané s’achève ; la prise de décision et l’action qui en découle parachève cet état d’esprit du manager. Son statut professionnel lui confère des responsabilités vis-à-vis des autres (assurer la sécurité du manège, la bonne réalisation du projet) et vis-à-vis de lui-même. 

Manager c’est donc le pouvoir de remettre en cause, de dire, de faire afin de nourrir, à sa manière, une culture d’entreprise riche de différents acteurs aux inspirations divergentes. 

La culture de l’entreprise ou acculturation des entreprises : quelles dynamiques actuelles ?

La culture de l’entreprise, ou culture organisationnelle comprend, au sens large, les pratiques et les valeurs d’une entreprise. Ces pratiques sont de nature formelle (définie et mise en place), ou de nature informelle, c’est-à-dire en dehors des pratiques officielles mais tout à fait présente. 

Les aspirations conjuguent des attentes professionnelles et personnelles, avec plus au moins d’interdépendances entre les deux. Selon sa culture, dans le sens des valeurs, le rapport au management, à l’entreprise, à sa place dans le monde varie. Ce tableau permet, par exemple, de souligner les différences entre générations au sein de l’entreprise : 

Génération X Génération Y Générations Z
1961-1980 1981-1995 1995-2010
LE TRAVAILDévouée au travail, qui  répond à l’idée de  réussir et gagner sa vie.  La fidélité au poste est  un devoir.Le travail est tout aussi  important que la vie  personnelle, il s’agit de  trouver l’équilibre entre les  deux. Relation d’égal à égal,  « je suis une ressource pour  l’entreprise autant qu’elle  l’est pour moi ». Changement de poste sans  turn-over frénétique.Turn-over plus  important, le travail doit  aussi être un facteur  d’épanouissement. Les  valeurs, la culture  d’entreprise et la  dimension éthique de  mon organisation  importe. « Je veux  donner du sens à mon  travail ».
LA MOTIVATIONLe salaire et le confort  de vie qu’il offre. La  carrière passe avant  tout bien que le bien être, les loisirs et la  notion de challenge /  défi émerge. Idée de  surpassement vertueux  de soi.L’indépendance, le  changement, la flexibilité,  la liberté (morale et  physique).En profiter pleinement :  notion de plaisir,  d’accomplissement de  soi par l’épanouissement  que permet le travail,  donc une certaine  stabilité pour soi. Jouer  collectif / team building.
LE MANAGEMENTParticipatif / collectif /  lean managementManagement collaboratif,  adaptation aux outils  numériques. Attention  accordée aux individualités  des équipes.Management éclairé et  humain / sensible.  Intelligence relationnelle  voire émotionnelle.  Innovation, créativité  sont valorisées.
LES QUESTIONS  
ENVIRONNEMENTALES
Prise de conscience,  débat, évaluation des  impacts sur les sociétés  humaines, idée de  ressources épuisables  (entreprises de certains  secteurs primaires par  ex : composants minéraux, ressources  énergétiques limitées)Prise de conscience et éveil  des actions en faveur de  l’environnement. Stratégie,  appropriation des  thématiques et actions  pionnières (green  whashing et initiatives  concrètes, accord Tokyo). 
Dynamique endogène — >  Top / Bottom
Actions et dynamiques  exogènes (Bottom  →top). Forte demande  sociétale et sociale pour  un changement de  business modèle, plus  éthique humainement  (conditions et lieux de  productions) et  environnementalement
Figure 1 : De génération en génération, quelle culture d’entreprise ? *

Johan Hidouche pour BetterManager*

Déformer et former une nouvelle culture d’entreprise 

La pluralité des générations constitue une richesse pour l’entreprise, dont les nouvelles générations témoignent une importance à l’entreprise en tant qu’organisation fonctionnelle et humaine ancrée dans les enjeux de son époque et dans son territoire. 

La formation des jeunes décideurs à ces valeurs concrètes et on the ground répond à cette demande endogène des futurs décideurs. Dans les écoles de commerce, des initiatives vont plus loin. C’est ainsi le cas de Burgundy School of Business, membre de la conférence des Grandes Écoles, qui depuis 2005 a intégré une dimension citoyenne dans l’offre pédagogique. La PAC, Pédagogie par l’Action Citoyenne, est un module comparable à un service civique, avec obligatoire pour tous les élèves du Master Grande Ecole, qui doivent chacun consacrer 40 heures dans l’année à des actions solidaires. 

Ces actions sont de plusieurs natures et s’inscrivent, entre autres, autour du campus dijonnais de l’école : aide scolaire, ronde alimentaire pour les plus fragiles…). D’autres écoles, comme Grenoble Ecole de Management et l’université de Grenoble proposent des

doubles formations Lettres Modernes et Management, afin d’apporter un sens critique et des qualités argumentatives à la formation en management. 

L’entreprise à bras-le-corps et à bras-le-monde 

Tous les acteurs de l’entreprise participent à sa pérennité. La notion récemment redécouverte de présentiel et distanciel nous rappelle que nous sommes, aussi en entreprise, un corps interdépendant de son milieu. Afin de mener à bien le travail, une prise de conscience sur le bien-être, voire le bonheur émerge depuis une 

dizaine d’années. C’est donc une notion géographique, c’est-à-dire spatiale qui devient un enjeu majeur : penser le travail à différentes échelles. Le corps est l’échelle la plus grande, et le monde la plus petite–en passant bien évidemment par le bureau, l’immeuble, le quartier, la ville, la région, le pays…etc). 

Au cœur de la mondialisation, qui se caractérise par des flux d’échanges matériels, immatériels et humains, c’est donc leur travail, inscrit à différent échelle, que les nouvelles générations interrogent et dont les décideurs doivent se saisir « Ce qui ne peut être évité, il faut l’embrasser » selon William Shakespeare. Autrement dit, il y a, pour reprendre une expression chère aux Yoga une « pleine conscience » de son travail en tant que pièce constitutive d’un tout, dont l’économie mondialisée est la manifestation, et dont chacun devient un acteur important (notion renforcée par l’individualisation des attentes liées au travail, voir figure 1). 

Néanmoins, le pouvoir d’action des décideurs, notamment intermédiaires, connaît des vicissitudes. En effet, d’après plusieurs sociologues dont Danièle Linhart, directrice de recherche émérite au CNRS en Stratégies managériales, les avancées sur la qualitéde vie au travail et l’autonomie des décideurs s’érode peu à peu pour plusieurs raisons : 

– L’organisation du travail est de plus en plus pensée selon des modèles standards de succès économique, et les acteurs de l’entreprise ne sont pas associés au changement. – L’accroissement du télétravail qui favorise la solitude et les interactions professionnelles et sociales. 

– Une disciplinarisation des cadres sous couvert d’engagement au travail. – Une recherche (par tous les acteurs) d’une individualisation du travail qui rompt l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et l’émergence de coopération. 

Ces travaux s’inscrivent dans un contexte de prise de conscience des humains comme ressources d’abord avant de les considérer comme des ressources humaines.

Cette approche se matérialise par des initiatives de décideurs et d’entreprise en vue d’améliorer réellement la qualité de travail et de vie des salariés à différentes échelles. C’est notamment le cas pour les 180 000 employés du quartier d’affaire de la Défense à Paris 180 000 salariés, 60 % de cadres, qui va connaître des travaux d’aménagement afin de le rendre plus attractif pour les nouvelles générations et favoriser ainsi un écosystème de travail professionnelle mais également plus humain et écologique (figure 2). 

Cet exemple nous montre ainsi une manifestation visible des changements et la pluralité des rapports au travail qui s’expriment au sein des entreprises aujourd’hui. Figure 2 : 

Figure 2: La défense : Vivre le travail à l’échelle du corps et du monde, quelle réalité et quels changements pour demain ?

Renoncer à l’utopie et vivre un idéal du proche :

L’entreprise tournée vers son territoire est une réponse aux différentes aspirations comme en témoigne l’évolution du quartier de la Défense. 

Si la question du lieu pour l’entreprise se pose, elle se pose aussi pour l’employé en tant que corps. 

Un consensus intergénérationnel est également souhaitable par une « citoyenneté du proche » qui agit dans un environnement de travail et un environnement tout court favorable à chacun et à la l’entrée des organisations dans le XXI siècle et ses défis sociétaux, sociaux et économiques. 

Ces évolutions permettront, comme le souligne la sociologue et philosophe Dominique Méda, d’offrir un nouveau modèle à créer de toute pièce : « La reconversion écologique va réhumaniser le travail »

Cette réhumanisation sera la clef des entreprises et organisations qui compteront dans les quelques années à venir car elles auront réussi à résoudre l’équation intergénérationnelle par un retour à ce qui fait leur essence : l’humain.

« J’aurais voulu être un artiste 

Pour faire du laid, pour faire du beau 

Pour pouvoir dire pourquoi j’existe 

Oui, oui, oui 

Merci beaucoup » 

 « Le blues du businessman », Starmania 

L’éthique du care offre “un point d’appui précieux pour organiser un mouvement de construction d’une nouvelle orientation de développement socio-économique, ne relevant pas d’un cahier des charges idéologique et prescriptif, mais d’une grille de lecture nous permettant d’ouvrir les yeux et de reconnaître que l’essentiel de ce dont nous avons besoin est en partie déjà là, depuis longtemps, sinon depuis toujours dans les multiples dynamiques de l’activité qui, en cherchant à rendre service prennent soin de la vie et de la capacité des personnes à vivre bien”. (Sandro De Gasparo). C’est en plaçant la question du sens au travail au cœur de nos modes de pensées et de nos façons de travailler que nous pouvons rééquilibrer la balance de la qualité de vie au travail et de la productivité. En déployant nos capacités flexibles d’adaptation au monde, nous pouvons tous espérer et réaliser un univers professionnel égalitaire tant en termes de différence entre les hommes et les femmes qu’en termes d’écart parfois vertigineux entre santé au travail et productivité.

Publié par

Johan HIDOUCHE

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