Coaching : vers une éthique managériale ?
Résumé : Cet article présente le coaching comme un accompagnement dans la transformation des individus et des organisations. Des transformations, à l’échelle individuelle et collective, créatrices de valeurs en action, c’est-à -dire en pratique. Il s’agit dès lors de montrer que le coaching, par essence, est producteur de valeurs éthiques et qu’il participe, de ce pas, à l’amélioration globale du monde de l’entreprise : de la qualité de travail à la performance organisationnelle.
« Moi je serai impitoyable puisque vous avez la liberté de faire ce que vous voulez, donc permettez-moi d’être impitoyable sur certaines choses quand même ! Vous êtes bien d’accord, nous sommes là donnant-donnant ». Aimé Jacquet, vestiaire de la Coupe du monde, 1998.
Dans les représentations populaires, le sélectionneur de l’équipe de France Aimé Jacquet représente un entraîneur victorieux, mais bien plus : le coach sportif et mental qui a mené les bleus jusqu’au triomphe de la coupe du monde 1998.
Ses mots, secs francs, challengeurs symbolisent, à posteriori, les augures de la victoire. Ils sont empreints de liberté, d’exigence, de connaissance et de maîtrise de soi ; leurs objectifs ? Gagner la coupe du monde. Ce fut fait et fort et Aimé reste dans les esprits comme le tisserand de cette équipe et la toile de fond de la première étoile.
Les métaphores comparant le coach sportif au coach d’entreprise sont nombreuses. En effet, ils partagent de nombreux enjeux communs :
- L’identité du sujet (le coaché) : qui est-il ? Dans quel environnement social et professionnel évolue-t-il ? pour le football —> Quels joueurs sélectionner selon l’équipe adverse ?
- La nature de l’accompagnement sollicité (expertise technique, morale…) ;—> un entraîneur pour quels objectifs ? Quelles ressources et méthodes ?
- Les outils du coaching (App, questionnaire, programme…) ; —> Quels entrainements ? Quel jeu ?
- Le dépassement de soi : l’idée d’une progression globale dans son métier ; —>« Fixez-vous des objectifs, tous ! qu’est-ce que je peux faire ! » (0.32sec). « Muscles ton jeu Robert ! si tu muscles pas ton jeu, tu vas avoir des déconvenues…! » (…1.38sec)
- La réalisation de quelque chose : c’est l’action engagée pour mener sa transformation et atteindre son but. C’est, par exemple, gagner pour la première fois la coupe du monde.
Si la métaphore fonctionne jusqu’à à certains points, les singularités du coaching en entreprise apparaissent lorsqu’il s’agit de concilier chez un même individu l’impératif d’épanouissement à l’exigence de performance. Cette posture ambivalente interroge la définition du coaching elle-même.
Le coaching peut être défini comme un accompagnement visant l’amélioration de « l’efficacité » individuelle ou collective. Cette démarche porte sur le perfectionnement des compétences techniques mais se vérifie plutôt au développement du savoir-faire et du savoir-être.
L’évolution de l’identité du coaché est également central : il s’agit du rapport à soi ; comment se connaître pour apprendre à se soucier de soi ? Engager une action (la transformation par le coaching), diffuser la conduite du changement et se soucier autrement des autres ? C’est la dimension éthique du coaching.
L’éthique pouvant être défini comme un ensemble de technique visant à assurer un rapport à soi déterminé visant à la « juste place » d’une décision et du sujet qui la prend. Si la morale est dans le faire valoir des valeurs qu’on ne questionne jamais, l’éthique fait valoir la concrétude d’un problème qui permet de qualifier une position : c’est en quelque sorte une morale en action, « en train de » se faire.
Le coaching, par ses objectifs et ses pratiques, est une application concrète d’une éthique préalablement définie au préalable sur un sujet (le coaché). Cela se traduit par une création de valeurs comme celle d’apprendre à se soucier de soi, être bienveillant avec les autres, accepter la remise en question pour une meilleure exploration et « performance » professionnelle…
Dès lors, comment concilier l’exigence organisationnelle de performance et l’impératif social d’épanouissement par le coaching ? Autrement dit, le coaching est-il une nouvelle éthique managériale ?
Du monde au corps, la nécessité du coaching comme une exigence organisationnelle d’efficacité à toutes les échelles
Dans le contexte de la mondialisation et de l’augmentation des échanges de flux matériels et immatériels (capitaux, services), les entreprises sont régies par une logique de compétition et de performance. L’évolution de l’entreprise à son environnement globale (son marché, sa cible…) nécessite une constante adaptation dont les membres de l’entreprise sont les porteurs. Parmi eux, le manager occupe une place centrale puisqu’il est dans une position interstitielle entre terrain et stratégie : il est penseur-faiseur. Cette responsabilité au carrefour des enjeux lui endosse la conduite du changement. Il est donc en première ligne dans la transformation de l’entreprise et de… lui-même.
Le manager moderne : un coach d’entreprise ?
Les entreprises ont vite compris que dans le contexte de globalisation de l’économie, le coaching était le moyen le plus efficace pour accélérer la conduite du changement. Il s’agit de transformer le manager dans ses pratiques, son savoir-faire, ainsi que son comportement et sa communication, son savoir-être.
Pour un manager de terrain, c’est par exemple, les qualités relationnelles, de communication et de métacommunication qui sont l’objet d’un accompagnement. Être porteur de sens pour son équipe, consolider l’esprit d’équipe, être à l’écoute de chacun des individus sont des compétences sujettes au coaching. Elles s’inscrivent en effet dans une forte demande d’individualisation des parcours de vie professionnelle. Une expression qui révèle dans l’association de ces deux termes antinomiques la nécessité de définir le manager moderne. Alors que le taylorisme portait le collectif et la machinisation des individus au travail, le manager moderne de l’entreprise du XXI est sensible, singulier et ses besoins professionnels, conjugués à son humanité, le sont tout autant.
La finalité de ses transformations repositionne le rôle et l’autorité du manager. Lorsque celle-ci reposait sur son titre et sa position hiérarchique, l’autorité du manager moderne repose dorénavant sur ses qualités humaines associées à son expérience. Lorsqu’il était autrefois une étape dans un flux d’informations descendant, il devient celui par lequel la transformation émerge (il se transforme lui-même) et l’émetteur de la transformation collective (il transforme son équipe).
Il devient un passeur, un connecteur et c’est en pratique toute la mobilisation et donc la force opérationnelle de l’entreprise qui est transformée.
(INTÉRÊT ORGANISATIONNEL DU COACHING INDIVIDUEL P. Fatien, IAE Lyon J.Moulin)
Néanmoins, cette nécessité du coaching comme une exigence organisationnelle d’efficacité est remise en cause par l’exclusivité des offres d’accompagnement destinées essentiellement aux hauts cadres d’entreprise (DRH, chef d’entreprise). En effet, plusieurs facteurs expliquent pourquoi les offres de coaching classiques entretiennent cette cible.
Tout d’abord le prix de la formation, souvent onéreux. L’investissement financier est – à tort- utile pour les fonctions stratégiques en délaissant les managers de terrain. Cette approche tend à présenter le coaching comme un privilège destiné à des privilégiés.
La deuxième raison justifiant ce privilège est également liée à une approche taylorienne et verticale de l’entreprise : les fonctions stratégiques sont intellectuellement capables de mener cette remise en cause des savoirs être et savoir-faire par le coaching, tandis que les autres fonctions moins élitistes ne le mériteraient pas de plein droit. Cette approche se dresse à l’encontre de l’essence démocratique du coaching visant à tendre à une transformation ainsi qu’à une exigence organisationnelle d’efficacité globale.
La démocratisation du coaching, c’est-à-dire des offres de coaching pour tous les métiers de l’entreprise est un défi pour l’entreprise moderne. Cette voie nécessite d’autres formes d’accompagnements comme les offres de coaching digital. Ces offres d’accompagnement, comme les autres engagent donc des approches visant à changer le rapport à soi, aux autres par un rapport à soi et aux autres différents et des pratiques qui le sont tout autant. C’est la dimension éthique du coaching qui vise un impératif social d’épanouissement en plus de l’efficacité développée ci-dessus.
Apprendre à me soucier de moi, pour me soucier autrement des autres : quelle traduction éthique du coaching en entreprise ?
L’impératif platonicien « connais-toi toi-même » du philosophe Platon se révèle – pour notre objet d’étude – que dans sa dimension pratique : l’action. Il s ‘agit alors d’apprendre à se soucier de soi. Cet apprentissage implique d’interroger ce que nous pensons comme vérité universelle et nos croyances ; celles acquises durant l’enfance plus particulièrement. Interroger, douter, être déstabilisé fait partie intégrante du processus d’apprentissage qui s’apparente à double mouvement de destruction et de construction du coaché. Détruire les croyances, les coutumes et les interprétations de ce que nous considérons comme une situation « réelle », et construire de nouvelles voies vers la connaissance, la vérité, autrement dit « la juste place » d’une décision et du coaché.
Cette démarche éthique, inspirée de l’allégorie de la caverne de Platon, est une condition sine qua non à la bonne compréhension des enjeux du coaching. En effet, il ne s’agit pas seulement de transformer une organisation et des pratiques, mais bien de viser l’épanouissement du coaché avec une éthique du quotidien. Le savoir être ainsi que le savoir agir est en somme la finalité de cette remise en question de soi ; une finalité qui rejoint, de ce pas, l’objectif du coaching : transformer le savoir être pour trouver la « juste place » du savoir agir. Un épanouissement social qui nécessite donc de développer un rapport à soi déterminé pour se soucier autrement des autres.
Michel Foucault interroge la question du sujet (coaché) et du « coach » avec la notion de se soucier autrement des autres. Que cela nous apprend-il pour notre éthique managériale ? à la lumière de l’analyse de P..Gros dans son papier Sujet moral et soi, éthique, (université Paris-Est Créteil Val de Marne), le rôle du coaché apparaît comme fondamental. Il est l’élément moteur qui va aider au travail de remise en question évoquée ci-dessus.
Autrement dit, il va aider à la déconstruction des croyances et de ce qui semble immuable pour le coaché. C’est la dimension accompagnatrice et universelle du coaching : accompagner dans un doute passager nécessaire pour laisser la place à la transformation. Cette transformation nécessite de déterminer de nouvelles pratiques et savoir être qui feront autorité. C’est ce qui confère au coaching, qu’il soit explicitement recherché ou non, sa dimension éthique. Déterminer un nouveau rapport à soi demande de fixer de nouvelles modalités : comment prendre soin de soi ? comment objectiver mes impressions ? Comment procéder à mon introspection en vue d’une transformation de soi ? Comment favoriser mon expression et ma créativité ?
La dimension managériale émerge lorsque le coaché, par exemple la figure du manager moderne, devient l’émetteur de ces transformations envers son équipe. Il devient un acteur du changement : dans la nature de son être et son impact envers la conduite du changement qu’il induit chez ses collèges.
La nature du coaching, du sujet (le coaché), du coach lui-même (humain ou digital) dresse une éthique qui fait autorité par ses fondements théoriques d’épanouissement ainsi que par sa force d’action. Il reste néanmoins à alimenter les modalités, c’est-à-dire le contenu, de ces valeurs éthiques, en solutions de transformation concrètes pour les acteurs du coaching. C’est alors que s’opère une traduction entre les interrogations du coaching et celles d’une éthique en construction.
Le tableau suivant s’inspire des travaux du philosophe canadien Charles Taylor, lui-même étudié par le chercheur et universitaire BRappin, dont les travaux portent sur les fondements philosophiques du management. Ses recherches ont la force, pour notre objet d’étude, de poser une assise théorique au coaching, et ainsi de le repositionner comme une solution de transformation sérieuse car scientifique d’une part, et utile car prêt à l’emploi d’autre part.
« Bien sûr, il ne s’agit pas de partir à la recherche des catégories philosophiques dans leur pureté éthérée » comme le dit Taylor (mais) de formes « simplifiées » comme le souligne Rappin dans la revue Management & Avenir.
Lecture à partir des travaux de C.Taylor (Rappin-universitaire et chercheur en philosophie du management)
Ce modèle simplifié nous montre le caractère éthique du coaching en vue d’un management de soi et des autres. Le management de soi est la responsabilité. Il promeut l’idée d’un sujet (coaché) responsable de lui-même et en mesure de se prendre en main avec l’accompagnement d’un coach.
Le coaching managérial fait preuve d’une dimension éthique qui appelle à la transformation de soi, des autres, de mon organisation. Elle est, en somme, une manière de conjuguer à la fois l’exigence organisationnelle de performance et l’impératif social d’épanouissement par le coaching.
Autrement dit, le coaching définit une nouvelle éthique managériale dont les modalités sont du ressort du coach : de sa nature et sa capacité à transformer tous les acteurs de l’entreprise, quel que soit leurs échelons, et les pratiques qu’ils mettent en œuvre.
Publié par
Johan HIDOUCHE