Qualité de vie au travail et performance économique
Qu’entendons-nous par qualité de vie au travail ?
Diminution du stress ?
Réduction de la charge de travail ?
Augmentation de jours de congés payés ?
Nous allons voir dans cet article que c’est bien plus que cela, vous pourriez être surpris de l’impact de quelques éléments simples à établir en entreprise sur le bien-être et la qualité de vie au travail des individus.
La qualité de vie au travail se définit selon l’Accord National Interprofessionnel (ANI, 2013) comme “un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance, la culture de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué”.
Cette notion englobe notamment la liberté d’expression au travail, la possibilité d’agir en sachant que son action a de la valeur et est considérée, l’attention portée au contenu réel du travail ainsi que sa valorisation. Elle comprend également des sujets pertinents pour nos sociétés tels que l’égalité professionnelle, la lutte contre les discriminations ou encore la transformation digitale dans un monde qui évolue de plus en plus rapidement.
Vers la fin des années 70, la notion de “Quality of working life” est popularisée. En France, elle se généralise à partir de 2010, les entreprises commencent alors à intégrer dans leur vocabulaire le terme de qualité de vie au travail (QVT).
Nous observons une corrélation entre QVT et risques psycho-sociaux (RPS) qui sont de puissants déterminants de santé et de bien-être au travail. Cette notion permet d’avoir une vision plus large des responsabilités de l’employeur et une appréhension plus équilibrée et moins anxiogène vis-à-vis du travail.
Le travail tient une place importante dans nos vies, particulièrement dans la vie des français. En effet, 94% des personnes interrogées en France déclarent que le travail est très ou assez important contre 79% au Royaume-Uni selon l’enquête à grande échelle de d’Evalue (european values in education).
En conséquence, plus ce pourcentage est élevé, plus l’estime de soi, la confiance en soi, la santé physique et mentale et bien d’autres facteurs ont de chances d’être impactés lorsque la situation professionnelle se dégrade.
Le signe le plus alarmant des conséquences des RPS est l’absentéisme. Même si 90% des actifs déclarent être “dans l’ensemble satisfait de leur travail” (enquête Sumer 2017, Ministère du travail), les arrêts de travail ont augmenté de 5% sur les 5 dernières années (CNAM, 2018). Nous pouvons remarquer une incohérence qui peut être le reflet d’un refoulement, un évitement des RPS qui cause involontairement un éloignement vis-à-vis de la QVT.
Les études confirment que l’engagement des salariés ainsi que leur implication favorisent la performance. “Le bien-être des salariés serait à l’origine de plus de 25% des variations de performance entre employés” (Wright, 2010). Un des grands principes qui appuie ce lien entre performance et QVT est la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2002, Cartwright et Cooper, 2009).
Cette théorie affirme que plus la motivation est “intrinsèque” (réalisation personnelle, accomplissement de soi, fierté du travail bien fait …), meilleures sont les performances au travail. Tandis que lorsque la motivation est extrinsèque c’est-à-dire vient de l’extérieur (gratification, conditions de travail …), l’engagement évolue mais plus lentement et de manière moins stable.
Les organisations ayant mis en place des approches participatives comportant un dialogue social ont permis une plus grande liberté d’expression et d’autonomie ce qui a amélioré l’implication des salariés. Ces organisations obtiennent de meilleurs résultats selon le “Work Organization and Employee Involvement in Europe, 2013”.
Nous pouvons observer les liens entre QVT et performance au travail à travers des éléments clés qui sont : l’attractivité des RH, l’engagement, la créativité, la prise d’initiative et la coopération qui créent des équipes plus stables, un travail de meilleur qualité et une organisation plus efficace ce qui provoque une performance durable de l’organisation qui elle-même joue un rôle “effet miroir” des équipes qui ont en conséquence plus confiance et voient leur attachement s’amplifier vis-à-vis de leur organisation. Une forte confiance et un puissant attachement diminuent significativement le stress, l’absentéisme et le turn-over.
“Les ateliers durables” (collectifs d’intervenants spécialisés dans le champ du bien-être au travail) citent sept dimensions de la QVT : le contenu du travail, les relations envers les collègues, les relations envers la hiérarchie, l’environnement de travail, la relation envers l’organisation, l’articulation vie professionnelle / vie personnelle et l’équilibre personnelle.
Néanmoins, le contenu du travail est la dimension la plus importante car elle renvoie à la question de l’autonomie, de l’adéquation entre les objectifs et les ressources, à la variété des tâches accomplies et à la charge de travail.
Nous pouvons remarquer que la liberté d’action est un point important pour évaluer mais aussi faire évoluer son travail. Par la suite vient le “soutien social” que l’on retrouve dans le “modèle de Karasek” qui mesure le stress au travail. Selon ce modèle, c’est l’un des trois facteurs majeurs dont dépend la santé des salariés. Puis la capacité d’adaptation des managers aux transformations sociétales, digitales et humaines. Le manager qui est un soutien, un facilitateur peut favoriser la QVT.
L’environnement de travail n’est pas à négliger pour une meilleure QVT, le simple fait d’ajouter une plante dans son espace de travail peut changer le niveau de bien-être, imaginez ce que cela peut faire de transformer son espace de travail en s’adaptant à sa manière de travailler.
Le sens au travail est souvent oublié, pourtant il est un des leviers puissants de la QVT et de la performance. Les études démontrent que l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle joue un rôle majeur sur le bien-être au travail.
Cet équilibre ne dépend pas seulement de l’organisation de l’entreprise bien qu’elle y joue un rôle déterminant mais dépend aussi de la responsabilité personnelle de chacun en fonction de ses capacités à identifier ses priorités ou encore à s’organiser. Il est important que chaque individu se sente accepté et respecté tel qu’il est dans son milieu de travail, à contrario l’équilibre personnel peut être perturbé.
Le manager joue un rôle clé dans la QVT, « Le rôle du management, comme celui de la direction, est primordial dans toute démarche visant à améliorer la qualité de vie au travail. Au quotidien, il organise l’activité, fait face aux difficultés rencontrées par les salariés et est un relais essentiel de la politique de l’entreprise » (article 16 dans l’ANI QVT).
Citée ainsi, la QVT vise à concilier les conditions de travail individuelles avec la performance collective de l’entreprise. Historiquement connotée socialement, la QVT est à considérer en termes médico-économiques sous l’angle de la performance selon l’ANI.
Selon Martin Richer, la nature du lien entre QVT et performance économique est à la fois complexe et dynamique. Complexe car nous retrouvons plusieurs dimensions dans ces deux notions et dynamique car c’est la qualité des interactions entre toutes les parties prenantes de l’entreprise qui crée de la valeur.
Selon le baromètre des enjeux RSE 2016, réalisé par Malakoff-Médéric et l’Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE), 69 % des entreprises mentionnent l’existence de dispositifs en faveur de la santé, sécurité au travail et QVT dans leur politique RSE. Et pour 66 % des entreprises interrogées, les dirigeants estiment que les actions en faveur de la santé et sécurité au travail améliorent les performances économiques de leur entreprise.
Ainsi, la QVT participe à la performance sociale et économique mais s’avance également vers une notion de “performance globale” (Martin Richer) qui regroupe la performance économique, sociale et environnementale. Cette “performance globale” constitue la colonne vertébrale des politiques RSE selon Richer Martin Richer.
Par exemple, plusieurs entreprises de tailles et de secteurs différents telles que BlaBlaCar, Valeo, Booking.com, Thales, Michelin, Aigle expérimentent de nouvelles stratégies d’organisation du travail. Elles se basent toutes sur un levier se trouvant au cœur de la QVT : la possibilité d’expression et d’action pour les salariés sur leur travail. Ce qui met en lumière la motivation et le sens au travail qui dépend de ce levier primordial.
Les entreprises s’intéressent à la QVT car elles sont en général sensibles au potentiel de réactivité des salariés face aux aléas du travail (production, variabilité de la demande). Offrir plus d’autonomie permet de s’adapter au nouveau contexte (“mass-customization” …) plus rapidement. Elles se soucient du bien-être et de la motivation de leurs salariés car ces derniers peuvent être souvent en contact direct avec la clientèle et nous pouvons distinguer le lien étroit entre qualité du service client et QVT.
Les entreprises digitales ont conscience qu’elles doivent s’adapter de manière constante à l’actualité de notre monde et aux attentes des nouvelles générations, leur politique d’innovation et de “talent management” passe par la mobilisation de toutes les sources de créativité (Martin Richer).
La confiance, la considération du travail, la coopération, les capacités réflexives des salariés sont bien des points pertinents pour améliorer la QVT mais ce qui fait la différence c’est “la place centrale donnée à l’autonomie régulée dans l’organisation” selon Martin Richer car c’est la preuve du lien entre QVT et performance économique. C’est aussi la stratégie des entreprises libérées, responsables et du lean management.
Afin d’approfondir ce lien entre QVT et performance économique, Martin Richer et ses collaborateurs proposent un modèle d’analyse de l’autonomie au travail. Ce modèle examine la nature des marges de manoeuvre dont disposent les employés, qui peut concerner trois dimensions :
- Les tâches qui régulent la forme individuelle (capacité d’intervention sur son propre travail, initiative face aux aléas).
- La coopération dans l’activité de travail qui régule la forme collective (expression sur le travail discussion entre pairs).
- La gouvernance qui régule la forme institutionnelle (dialogue social et représentation dans les organes de gouvernance).
Pour Martin Richer, dans le monde actuel, cette vision large de l’autonomie est déterminante tant pour la résilience des entreprises et des organisations publiques que pour la qualité du travail des salariés. Et c’est en investissant ces trois dimensions que les dirigeants peuvent améliorer la QVT des salariés et la performance économique de l’entreprise.
il y a dix ans nous parlions de “souffrance au travail” ce qui faisait référence à décrire les salariés comme étant des victimes. Cinq ans auparavant, nous utilisions le terme de “prévention des RPS” qui faisait allusion à percevoir les salariés comme passifs, exposés aux risques sans moyens d’actions.
Aujourd’hui, l’avenir se présente comme une opportunité de mettre en avant la notion de QVT qui offre la possibilité aux salariés d’être acteurs dynamiques et créateurs de leur accomplissement à la fois professionnel et personnel. Selon Martin Richer, c’est parce qu’elle incite à ce basculement que la démarche de QVT constitue un levier de transformation sociale.
Elle incite à recréer les environnements de travail pour renforcer les équipes dans le but qu’elles créent des environnements “capacitants” (Amartya Sen et Martha Nussbaum, 2012), c’est-à-dire des espaces favorisant le pouvoir d’agir des personnes.
En modifiant l’espace, nous modifions aussi notre perception de nous-même à l’intérieur de cet espace. La QVT est d’abord une perception, un ressenti dans une ambiance particulière pour ensuite devenir une réalité à l’aide de moyens d’actions concrets. Notons que sans une prise de conscience rien de tout cela n’est possible.
Les salariés n’attendent pas que l’entreprise fasse leur bonheur mais qu’elle agisse sur ce qu’elle maîtrise : l’organisation du travail, ses conditions de réalisation, l’aménagement du temps de travail pour qu’ils aient l’opportunité de créer leur bonheur.