Pourquoi l’engagement n’est-il plus à la mode ?
De quel engagement parlons-nous ?
Aujourd’hui, la perception que nous avons de la notion d’engagement n’a pas vraiment évolué, la réalité est tout autre. En effet, l’engagement résonne toujours à travers une connotation militaire dans nos esprits. Nous avons l’impression qu’un retour en arrière est difficile voire impossible lorsque nous nous engageons. Cette impression est la conséquence de nos croyances sur l’engagement.
La réalité est que chez la plupart d’entre nous, l’engagement découle d’une motivation personnelle et/ou professionnelle, d’une prise d’initiative et d’une autonomie.
De nos jours, l’engagement n’est plus communautaire mais humanitaire. Lorsque l’engagement ne s’oppose plus à la liberté mais au contraire devient notre liberté, nous pouvons l’inventer et le personnaliser. En l’occurrence, l’engagement pourrait favoriser l’intelligence collective.
L’engagement est marqué par trois caractéristiques selon Martin Richer :
- Il est fondé sur la discipline et l’obéissance ;
- Il est irrémédiable (si vous vous « engagez » dans une direction, vos possibilités de faire demi-tour s’amenuisent) ;
- Il est passionnel et nous prive de liberté (on s’engage comme on s’attache, comme on affermit les liens).
Ces trois caractéristiques réduisent le potentiel infini des collaborateurs à exprimer des idées, à trouver des solutions, à prendre des initiatives et à utiliser leur esprit critique.
“Les politiques RH (Ressources humaines) et RSE (Responsabilité sociétale et environnementale) fondées sur l’engagement conduisent à une impasse, celle du sur-investissement unilatéral.
Il faut renverser la logique pour passer à une approche d’« empowerment », c’est-à-dire de pouvoir d’agir et d’intelligence collective. Pour cela, il faut mettre davantage d’implication et de dialogue là où il n’y en a pas assez : dans la société et dans l’entreprise.” (Martin Richer)
Les attentes mutuelles au sein d’une entreprise qu’elles soient explicites ou implicites sont bouleversées par l’engagement si elles ne sont pas complémentaires, c’est-à-dire qu’un employeur ne peut pas attendre un engagement solide de la part du salarié si lui-même en tant qu’employeur ne s’engage pas à investir dans le “travail durable”.
Si l’engagement n’est pas mutuel, le “contrat social” est instable.
La clé pour motiver ses collaborateurs est le sens du travail. Si l’on donne une liberté d’expression, une autonomie et du sens dans le travail, nous pourrions être surpris de la capacité d’une équipe de travail au sein d’une entreprise.
“Le couple liberté-responsabilité est au cœur de la notion d’engagement individuel et collectif.
Croire qu’il peut y avoir un engagement sans liberté est un leurre. Croire qu’on peut accepter un engagement sans responsabilité est un leurre aussi.
Se désintoxiquer de ces deux fausses croyances sera pour le manager de demain une nécessité” cité par un article de mpm.
Aujourd’hui, beaucoup de stratégies RH sont basées sur “l’engagement individuel” alors que la démarche de RSE (Responsabilité sociétale et environnementale) “s’appuie à la fois sur la responsabilité individuelle et sur l’apprentissage collectif.
Les engagements auxquels conduit la RSE sont des engagements collectifs, qui passent par la responsabilité et la liberté des acteurs.”
Dans un rapport, publié en 1982, le ministre du Travail, Jean Auroux disait : “citoyens dans la cité, les travailleurs doivent l’être aussi dans l’entreprise”.
Dans une interview accordée à Martin Richer, il évoquait “les services de ressources humaines, que je préférerais appeler ‘des Relations Humaines”. “Illustrant sa vision de l’homme au travail comme potentiel plutôt que comme ressource instrumentale.”
Malgré la mise en place de “démarches participatives, responsabilisation des salariés, dialogue collaboratif, management délibératif, dialogue professionnel, intelligence collective, espaces de discussion, réunions d’expression, forums participatifs, innovation collaborative…”, les personnes concernées ne se sentent pas réellement impliquées.
Dans l’entreprise comme dans la vie politique, les salarié(e)s pensent majoritairement que les décisions sont prises sans qu’ils aient un réel impact sur ces décisions.
Voici une hypothèse pertinente soutenue par Martin Richer, Danielle Kaisergruber et Gilles-Laurent Rayssac :
“Les insuffisances de la pratique de la démocratie au quotidien dans l’espace public et le manque de débats et de participation dans les entreprises se renforcent. Les faibles possibilités d’expression et de dialogue là où l’on travaille ajoutent aux frustrations des citoyens là où ils vivent.”
“Près de 6 Français sur 10 estiment que les mobilisations démocratiques menées par l’Etat ou les collectivités territoriales doivent avoir un impact sur les attentes à l’égard des entreprises.” (Baromètre de l’intelligence collective par BVA pour Bluenove, 2018)
D’après une large enquête nommée “Parlons travail” en 2017 qui a interrogé plus de 200.000 salarié(e)s, “la première attente consistait en la volonté d’avoir son mot à dire, dans le travail et dans le fonctionnement de l’entreprise.”
Voici les résultats de l’enquête :
- 79 % des répondants aimeraient que leur entreprise ou administration ait un fonctionnement plus démocratique ;
- 73 % d’entre eux veulent participer davantage aux décisions importantes qui affectent leur entreprise ou administration ;
- 74% préféreraient plus d’autonomie à plus d’encadrement.
L’enquête indiquait aussi que “les travailleurs qui souffrent le plus au travail sont ceux qui disent ne pas avoir assez d’espace pour s’exprimer ou pour s’organiser.”
“Les enjeux de notre époque imposent de renverser cette logique au profit d’une approche d’« empowerment ».
Au même titre que JF Kennedy demandait à ses compatriotes d’être attentifs à ce que chacun peut faire pour son pays plutôt qu’à ce que son pays peut faire pour lui, dirigeants et DRH doivent solliciter l’intelligence collective plutôt que de chercher à obtenir un engagement unilatéral de leurs salariés.” (Martin Richer)
On peut constater que le terme “d’engagement” n’est plus interprété de la même manière qu’au temps du taylorisme.
Aujourd’hui l’engagement a changé de signification, il correspond à l’expression libre et l’épanouissement des capacités de chacun afin de faire vivre le potentiel d’une équipe.
A partir du moment où le management comprend les bienfaits de l’engagement, il ne peut que l’utiliser à bon escient.
Patrick Bouvard définit l’empowerment ainsi : “l’empowerment consiste en ce que tous les acteurs de l’entreprise – au premier rang desquels les managers – sachent et puissent œuvrer pour que la collaboration, la force du collectif, confère à chacun un pouvoir d’initiative, une capacité d’action et de développement de ses potentiels.
Ce pouvoir « individuel » est fondé sur le triptyque confiance – autonomie – responsabilité.”
La confiance, l’autonomie et la responsabilité semblent être les points importants d’une performance et d’un bien-être collectif.
La façon dont ces trois points vont s’accorder dans une équipe peut définir la force de cohésion et d’efficacité de celle-ci.
Selon le sociologue et philosophe Pierre Lévy, auteur de L’Intelligence collective pour une anthropologie du cyberespace, l’intelligence collective est « une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences ».
Elle est la « capacité à maximiser la liberté créatrice et l’efficacité collective ».
“La démocratie participative est aujourd’hui davantage une injonction qu’une pratique installée.” (Martin Richer)
Entre la réalité et ce qui est dit, il y a un grand fossé.
En effet, les entreprises appliquent des moyens pour augmenter la prise d’initiative et valoriser l’expression de la parole comme les boîtes à idées et les questionnaires mais le résultat reste inchangé : il n’y a pas de changements réels.
L’intelligence collective peut servir de base solide pour l’élaboration d’une nouvelle culture d’entreprise ainsi que d’une organisation de celle-ci, sans oublier l’innovation qui est très demandée par les salarié(e)s et les dirigeant(e)s.
Aujourd’hui, pour mettre en place l’intelligence collective dans les entreprises, on doit analyser et transformer la culture managériale bien trop ancienne qui règne sur le monde du travail.
Une culture managériale fondée sur la confiance, la coopération, la compétence et l’adhésion est l’avenir d’un système de travail qui respecte l’individu et met en avant son bien-être.
La meilleure façon de donner confiance aux salarié(e)s lorsque l’on veut établir un changement positif dans l’organisation de l’entreprise est de soi-même en tant que dirigeant(e) donner l’exemple en s’impliquant personnellement dans notre démarche.
On sous-estime souvent les besoins en formation des collaborateurs, tandis qu’une base solide de connaissances et d’apprentissage est indispensable à l’expression complète du potentiel de chacun.
Par exemple, la prise d’initiative est une compétence qui comporte des risques d’autant plus si l’on ne détient pas toutes les ressources d’apprentissages nécessaires.
“Comme le dénote le terme américain “d’empowerment”, l’intelligence collective ne peut s’épanouir sans un accompagnement des acteurs en termes d’apprentissage.”
“La démocratisation du travail passe par des procédures de prise en compte des aspirations de chacun, d’échange contradictoires, de règlement pacifié des désaccords et de construction d’un avenir commun.”
La “Raison d’être des entreprises” est une formulation intéressante qui défend l’idée que “les politiques de formalisation et de déploiement de cette raison d’être ne se limitent pas à un échange entre les organes de gouvernance et les instances de directions mais au contraire, se traduisent par un débat participatif associant les salariés au sein de chaque entreprise.” (d’après le rapport Terra Nova).
L’intelligence collective permet au manager d’insérer les collaborateurs dans le processus de création de valeur de l’entreprise.
Quand leur avis est pris en compte lors de l’établissement des enjeux et des objectifs, alors nous pouvons apercevoir une coopération d’équipe et une co-création de solutions nouvelles.
Comme l’exprimait Edward Bulwer-Lytton (homme politique et romancier britannique), « le dialogue véritable consiste à s’appuyer sur l’idée de son interlocuteur, non à la démolir », ce qui reflète l’intelligence collective.
Il est peut-être temps d’évoluer vers une relation multilatérale ou les avis et la parole de tous les collaborateurs sont pris en compte et impactent l’avenir de l’entreprise autant que l’avenir commun et individuel de chacun dans l’entreprise.
En valorisant l’échange et l’interactivité entre les membres de l’entreprise, nous pouvons établir un “système d’implication” qui sollicite l’intelligence collective.
Et enfin percevoir la vraie valeur du travail en équipe qui devient un potentiel riche à découvrir tant pour les employeurs que les salarié(e)s.
L’enjeu d’aujourd’hui et de demain reste et sera de donner du sens au travail, un sens qui accomplira les attentes mutuelles des personnes dans le respect, la confiance, la valorisation et l’autonomie.